Analyse de roman : Lorsque j’étais une œuvre d’art, Eric-Emmanuel Schmitt

Analyse de roman : Lorsque j’étais une œuvre d’art, Eric-Emmanuel Schmitt

29 janvier 2019 Non Par Edouard

 

INTRODUCTION

 

Le roman Lorsque j’étais une œuvre d’art a été écrit par Eric-Emmanuel  Schmitt et a été publié en 2002. Cet écrivain est agrégé et titulaire d’un doctorat de philosophie. Il s’est fait connaître tout d’abord au théâtre, il a également beaucoup écrit de romans et d’essais ainsi que des récits. J’ai eu l’occasion de lire une autre œuvre de ce même auteur : « Oscar et la dame rose » paru également en 2002.

 

Le roman raconte l’histoire d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, déprimé qui se trouve inexistant et incapable de réussir quoi que ce soit : même son suicide est raté. Alors qu’il est sur le point de se suicider, il croise un artiste contemporain excentrique et mondialement connu. Ce dernier lui proposera de racheter son âme et son corps afin d’en faire une œuvre d’art vivante ou plutôt un objet d’art, acte qu’il va d’ailleurs regretter par la suite.

 

Ce roman fait écho à Frankenstein de Mary Shelley car dans ces deux œuvres : la créature va échapper au créateur et va même se rebeller contre lui. C’est également le cas dans le roman La vague de Todd Strasser où il  ne sera pas question d’une créature mais d’un mouvement dont le créateur ne sera plus le maître.

 

OBJET- LIVRE

 

Je trouve toujours le format du livre (livre de poche) pratique car il peut être emmené et lu partout et que cela est un avantage pour mon entrée en lecture. La police d’écriture est plaisante à lire bien que les caractères soient rapprochés. Quant à la première de couverture, on s’attend à une histoire non banale, originale. Elle est très colorée et peut être comparée à certaines œuvres contemporaines comme par exemple celles d’Andy Warhol.

 

 

TENSION DRAMATIQUE

 

 

Le récit est assez bien construit du point de vue du dévoilement progressif des informations. Nous avançons pas à pas dans une histoire, dans une création qui nous amène à réfléchir sur des thèmes typiquement de l’époque actuelle : la reconnaissance, le succès, l’esthétique… J’ai trouvé cependant certains passages  un peu longs et répétitifs vers la fin du roman comme par exemple avec les différents conservateurs de musées.

 

 

LISIBILITÉ/COMPLEXITÉ

 

 

J’ai trouvé que le roman se lisait facilement et rapidement, j’étais curieux d’avancer dans la lecture afin de savoir ce qui allait arriver au héros du livre : Adam bis.

Les personnages sont peu nombreux. L’écrivain a choisi des noms originaux, faisant référence à la mythologie grecque pour Zeus-Peter Lama ou au premier homme ayant existé pour Adam bis.

Les personnages sont donc :

 

  • Tazio Firelli = Adam bis : un jeune homme inexistant, déprimé et vulnérable.
  • Zeus-Peter Lama : un artiste contemporain mondialement connu et manipulateur.
  • Enzo et Rienzi Firelli : frères jumeaux d’une très grande beauté et frères de Tazio. Ce sont deux personnages insignifiants.
  • Docteur Fichet : le médecin au service de Zeus-Peter Lama
  • Carlos Hannibal : un peintre de l’invisible et père de Fiona.
  • Fiona Hannibal : fille de Carlos qui deviendra l’épouse d’Adam bis.

 

Les lieux sont eux aussi peu nombreux : il est surtout question de la somptueuse villa de Zeus-Peter Lama : l’Ombrilic. Ce mot nom se rapproche d’ombilic (nombril), maison qui est d’ailleurs aussi extravagante que son propriétaire où « une seule chose ne trouvait pas sa place sur les murs de cette demeure : la mesure ».

Il n’y a que quelques scènes en extérieur comme par exemple la plage où Adam bis aime retrouver Carlos Hannibal et sa fille Fiona. Sinon, tout se déroule en intérieur et cela renforce cette idée de manque de liberté.

 

 

RÉALISME ET/OU VRAISEMBLANCE

 

 

Le récit m’a plu pour son habile mélange de vraisemblance et d’invraisemblance.

La vraisemblance car c’est une satire de ce que certaines personnes sont capables de faire. Les limites qu’elles peuvent franchir pour être reconnu, pour cette quête de célébrité à tout prix et c’est là que nous nous rendons compte de la bêtise humaine. D’ailleurs, Eric-Emmanuel Schmitt traite cela de façon comique, il se moque de façon impitoyable. Par exemple, Zeus-Peter Lama est un artiste de l’inutile, il a «sculpté la paille», «emballé la statue de la Liberté dans du papier tue-mouches»…. Bref, que des choses futiles, qui ne servent à rien.

 

Sculpter les corps est incroyable mais on ne peut s’empêcher de faire un rapprochement avec la chirurgie esthétique pratiquée par certains chirurgiens. D’ailleurs, il paraîtrait qu’Eric-Emmanuel Schmitt aurait écrit son roman à la suite d’une émission télévisée qu’il regardait montrant une personne ayant subie de nombreuses opérations afin de devenir de plus en plus beau.

Le côté invraisemblable est présent en ce sens qu’il n’est pas possible d’acheter un corps humain, d’en faire « sa propriété ».

 

 

GENRE –THÈME

 

Il ne m’est pas possible d’établir de comparaison avec ma propre expérience cependant ce roman m’a plu par son côté fantastique et comique. Par certains aspects, il est proche de la mentalité de notre société actuelle : le paraître, l’apparence, le pouvoir de l’argent, la célébrité. Tout ce qui peut faire faire n’importe quoi pour être connu, reconnu et aussi l’image que l’on renvoie aux autres afin de trouver sa place dans la vie. Il est question dans ce roman d’extravagance, ainsi «des pierres précieuses étaient serties dans l’émail des canines et des incisives» de Zeus-Peter Lama, les domestiques sont habillés «en pingouins», le plat principal arrivait sur une civière et était « un immense corps d’athlète caramélisé, composé de toutes les viandes existantes… ». J’ai trouvé cela absolument grotesque.

 

Tout n’est qu’apparence, futilité, Zeus-Peter Lama a «sculpté la paille», «coloré le Danube»…même les couleurs utilisées pour peindre sont ridicules : «pervenche de sous-bois au soleil» ou bien «rouge matriciel»…cela ne veut rien dire.

Adam bis, pour sa renaissance, ira jusqu’à simuler son décès et des funérailles, auxquelles d’ailleurs Adam bis assistera.

 

STYLE

 

Pour ce qui est du niveau de langue, celui-ci est assez agréable, plaisant et facile à lire avec des phrases qui sont relativement courtes. Toutefois, l’auteur peut utiliser un style recherché en utilisant des mots tels que : «l’histrion», «un panégyrique» ou encore «un sonomégaphore». Puis, enchaîner avec un style beaucoup plus familier et même cru à certains moments, nous avons «se faire la gueule», «ma merde», «il va tout me bousiller», «le cul dans le beurre», «tomber en cloque». Les femmes sont même traitées de «morues». Cet artiste est méprisant et n’éprouve aucun respect ; d’ailleurs, ne pas connaître Zeus-Peter Lama, c’est «avoir de l’avoine à la place du cerveau».

 

A certains moments, le personnage principal ainsi que Rolanda (en fin de roman) s’expriment sans utiliser de pronom personnel «je» et nous lisons : «me trompé», «uriner comment ?», «très très fatiguant d’être une œuvre d’art», «surtout Rolanda taurine».

 

Dans ce roman, l’écrivain a utilisé le discours argumentatif. D’une part, quand Zeus-Peter Lama veut convaincre Adam bis et également lors du débat au moment du procès. Ainsi, nous trouvons des connecteurs tels que : «parce que», «autant» ou «puisque» pour se justifier. D’autre part, «en revanche» et «donc» quand il s’agit de faire le bilan en fin de roman.

 

Eric-Emmanuel Schmitt utilise beaucoup de dialogues ce qui rend le roman très vivant. Il y a également  énormément de points d’interrogation : le personnage d’Adam s’interroge beaucoup ce qui amène également le lecteur à réfléchir lui aussi et à partager un peu les différentes émotions du héros.

 

TENSION ÉMOTIONNELLE

 

Même si le récit ne me permet pas de m’identifier, je ne peux rester indifférent à ce qui arrive à Adam bis. C’est une histoire qui est perturbante et qui fait froid dans le dos par certains aspects. Le suspens concernant le sort du personnage principal demeure jusqu’à la fin du livre, c’est-à-dire jusqu’au procès.

 

Le lecteur que je suis est amené à réfléchir en lisant ce roman sur l’art, la célébrité, l’esthétique. Tout n’est qu’apparence, duperie, ambiance superficielle et on ne s’y sent pas à l’aise, même la grille est « hautaine ».

 

 

CARACTÈRE MORAL

 

Différentes valeurs sont abordées dans ce roman :

 

  • La liberté, qui est d’ailleurs bafouée tout au long du roman mais qu’Adam bis retrouve dans les dernières pages du récit, quand il réussit à se libérer de l’autorité de son créateur. Il devient conscient que Zeus-Peter Lama veut le priver de sa conscience : une des seules choses qui lui reste avec ses yeux et sa voix.
  • L’amour qu’éprouve Adam bis à l’égard de Fiona et Carlos Hannibal. C’est d’ailleurs grâce à cet amour qu’il réussira à se sortir des griffes de Zeus-Peter Lama. Cet amour est si fort qu’Adam bis dit même : «aimer trois fois». Carlos Hannibal ainsi que sa fille Fiona vont radicalement changer son regard sur la vie. En ce qui concerne Carlos Hannibal, ce dernier n’a jamais véritablement connu le succès (sauf à titre posthume) mais il a vécu heureux en exerçant un métier qu’il aimait.

 

Ce récit me semble moralisateur car l’écrivain a un esprit critique en montrant au lecteur jusqu’où la bêtise humaine peut aller.

 

 

ORIGINALITÉ

 

L’histoire est originale et loufoque. En revanche, la fin du récit m’a surprise et j’ai trouvé qu’il se terminait un peu comme les contes de fées : «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants». J’ai trouvé qu’il y avait un grand décalage par rapport au reste de l’histoire. La maison avec des enfants, la vie de famille tout à fait normale, cela a un côté très réaliste. Et même si, en fin de roman, on était conscient qu’Adam bis voulait changer ses conditions de vie : ne plus être sous le joug de Zeus-Peter Lama, je ne me doutais cependant pas qu’Adam bis aurait une vie aussi rangée. Ce n’est donc pas une fin de roman originale mais cela donne une note positive, une bouffée d’espoir dans un monde où l’avenir d’Adam bis semblait très compromis.

 

COMPARAISON AVEC LES AUTRES ŒUVRES DE LA SÉQUENCE

 

Ce roman peut être rapproché de celui de Mary Shelley : Frankenstein car là aussi, il est question d’une créature qui se rebelle contre son créateur. Dans les deux cas, les créateurs sont considérés comme des génies. Dans les deux romans, les créateurs nous apparaissent comme des monstres.

 

CONCLUSION

 

Bien que je ne sois pas particulièrement attiré par les romans du genre fantastique, il m’a quand même tenu en haleine et m’a amené à réfléchir sur ce que sont prêtes à faire certaines personnes pour exister dans le monde actuel. Eric-Emmanuel Schmitt a dit un jour : « A trop se regarder, on s’empêche de vivre ».