Crépuscule du soir, Les Fleurs du mal, dans Tableaux parisiens – Commentaire de texte – BAC de français

28 juillet 2019 0 Par Stanislas

Problématique : Quelle image donne le poète du soir qui tombe sur la ville dans laquelle il se déplace ?

 

I) Le poète présente une société divisée

Les oppositions sont omniprésentes dans ce poème.

  1. Le soir est divisé

 

Le soir peut être à la fois « charmant » et « ami du criminel », « aimable soir » ou « comme un complice », « soir qui soulage » et « sombre nuit ». Le soir est personnifié. En effet, il agit plusieurs fois, et est qualifié par deux adjectifs habituellement adressés à des humains : « charmant » et « aimable ». Sa position dans le poème est ambigüe, tout comme elle l’est dans la journée : à cheval entre le jour (franc et honnête), et la nuit (pleine de vices et de dangers).

Le soir est le théâtre d’actions opposées : on remarque la fermeture (« se ferme », « regagne son lit », « volets », « gouffre », « hôpital ») opposée à l’ouverture (« ouvre », « dans les rues », « forcer les portes », « se fraye un chemin »). Plus généralement, le soir oppose l’immobilité au mouvement du Vice qui va occuper tout l’espace disponible.

L’élément central de ce poème (que nous donne le titre, le « crépuscule du soir ») peut donc être vu de deux façons différentes.

  1. Des caractères humains opposés

 

L’honnêteté s’oppose au vice : « sans mentir », « le savant », « l’ouvrier », « les malades », contre « la Prostitution », les « escrocs », les « voleurs ». Le poète, dans un souci de vouloir tout montrer, parle de ces deux aspects du caractère humain et laisse le lecteur choisir.

Cependant, on remarque que ceux qui travaillent sont seuls : « celui dont les bras… », « le savant », « l’ouvrier », contre « les voleurs », « les catins », « les escrocs », « leurs complices ». Nous sommes témoins de leur solitude et on pourrait même avoir peur pour les honnêtes gens, désemparés face à ces hordes de malfrats. Ils ne semblent pas être en position de lutter, que pourrait faire « le savant » contre tous ces « escrocs » ?

  1. La division des modes de vie humains

 

Le travail (« nous avons travaillé », « douleur sauvage », « savant obstiné », « ouvrier courbé », « front s’alourdit », « les bras », « douleur des malades », « n’ont jamais connu la douceur ») s’oppose à la fête et au plaisir (« orchestres », « théâtres », « tables d’hôte », « jeu »). Là encore, les pluriels sont du côté de la nuit et le vice semble plus séduisant que le travail présenté comme morbide.

Ceux qui travaillent semblent être condamnés à mourir, portant sur leurs épaules la charge de cette vertu. La nuit a pour elle toute la vie : les pluriels et la foule, les rires et les cris de joie, mais aussi la nature « un ver », la « fourmilière », « pour vivre quelques jours ». Tandis que la journée est promise au « gouffre commun » (périphrase de la tombe ou de la fosse commune), et n’a « jamais vécu » de toutes façons.

Conclusion partielle : L’opposition entre la nuit et le jour est très marquée dans ce poème, ce qui est normal car le « crépuscule du soir » fait la jonction entre la journée de travail qui vient de se finir et la nuit de plaisirs qui débute. Le poète plaint le labeur et dénigre le vice, tout en faisant passer ce poème pour objectif (comme le révèle l’emploi du présent).

II) La nuit révèle les vices

Le poète prend la place du soleil qui révèle la vérité (cf le poème Le Soleil de Baudelaire).

  1. Le nombre

 

Ces vices sont nombreux. Ils effectuent beaucoup d’actions et les verbes dont ils sont le sujet sont souvent conjugués au pluriel : « s’éveillent », « cognent », « s’allume », « ouvre », « se fraye », « tente », « remue », « dérobe », « s’emplissent »… La liste est longue : lorsque la nuit se couche sur la ville, le vice s’éveille. Les verbes sont au présent (exprimant la généralité) ou à l’infinitif (exprimant le potentiel), comme si la toute-puissance du vice était inéluctable.

  1. L’évolution de la perception du vice

 

Le vice est d’abord absent des neufs premiers vers du poème, puis il apparaît discrètement (à la manière de l’oxymore « forcer doucement »). L’adverbe « cependant » marque une opposition qui n’est pas aussi franche que pourrait l’être un « mais ». Il montre simplement que, tandis que les honnêtes gens vont se coucher, le vice étend son emprise petit à petit. Il s’insinue partout, en témoignent les compléments circonstanciels de lieux. A mesure que le rythme s’accélère le vice se répand (accélération de rythme aux vers 21 à 28).

Si le vice était discret pour s’instaurer, une fois en place, il se montre bruyant et animal : « siffler », « glapir », « ronfler ». Ce bruit est aussi insinué : « cognent ». Le vice est présenté péjorativement, et on a une perte de tous les repères humains : le ciel est personnifié aux vers 2 et au vers 3 il se change en nuit (qui elle aussi est personnifiée). Le seul témoin est un « on » dont on ne sait rien (le poète et le lecteur, passifs et objectifs devant la scène qu’ils observent).

  1. Le danger

 

L’arrivée de la nuit transforme les humains. Certains, « impatients », se changent en « bêtes fauves ». « Douleur sauvage », « malsain », « ennemi », « coup de main », « complices », « ni trêve ni merci », « rugissement », « les prend à la gorge », « finissent », (etc jusqu’à la fin du poème) témoignent du danger menant à la mort (dernière strophe) que ce crépuscule du soir entraine.

Conclusion partielle : La nuit révèle les instincts. A mesure que le soir tombe, ceux-ci sont de plus en plus marqués.

III) La déploration face à ce que le poète voit

  1. La plainte

 

Dans la pénultième strophe, le poète émet une plainte, à la suite de la description des vices dans la strophe précédente. Les vices en sont bien la cause. Le poète plaint les malades sans déplorer les maladies, de même il plaint les travailleurs sans parler du travail. Il veut accabler le vice, en le montrant en position de supériorité, ce qui aura pour effet de rendre la plainte encore plus justifiée et d’éveiller la compassion du lecteur.

Le poète, après avoir montré (« voici ») et entendu le crépuscule du soir émet sa plainte en se renfermant sur lui-même : il parle à son âme, se « recueille » et « ferme » son oreille. Il regrette la « soupe parfumée », et la chaleur du « coin du feu » et de « l’âme aimée ».

Le poète dénonce le système qui se met en place : seuls trois noms ont une majuscule : l’Homme donne son argent à la Prostitution et sa vie à la Nuit. Les majuscules retirent l’individualité à ces collectifs ce qui renforce l’idée du combat symbolique.

  1. A qui s’adresse donc le poète ?

 

Au vers 29, le poète emploie « mon », et à la première strophe « voici » (servant à désigner quelque chose à quelqu’un qui peut aussi observer l’action se dérouler). Il se parle à lui-même dans la pénultième strophe, et ce monologue est une plainte (avec une pointe de cynisme). On pourrait croire qu’il est seul mais cette introspection sert en réalité à toucher le lecteur : en montrant des personnes faibles (« ouvrier », « malade », « savant »), le poète veut parler au lecteur, qui doit se sentir concerné par la lutte inespérée que le poète lui décrit.

Conclusion partielle : Le poète critique la société contemporaine (qui d’ailleurs le lui rendra bien, avec un procès lors de la sortie des Fleurs du mal en 1857), sans pour autant proposer d’alternative : la plainte montre en effet que la situation dans laquelle l’honnêteté est plongée est justifiée et sans issue.

Conclusion

 

Le poète dresse une image négative de Paris de nuit. La douce transition du travail vers le vice ne sert qu’à mieux le dénoncer. Le spleen auquel le poète voulait échapper n’a pas diminué (cf poèmes précédents de la section Tableaux parisiens). C’est d’ailleurs un tableau très animé et haut en couleurs que le poète nous peint ici. Comme les autres poèmes, celui-ci se termine sur un échec, qui semble nécessaire à la réussite poétique.