Analyse de roman : Cannibale, Didier Daeninckx

Analyse de roman : Cannibale, Didier Daeninckx

30 janvier 2019 Non Par Edouard

INTRODUCTION

 

Le roman : Cannibale a été écrit en 1998 par Didier Daeninckx, écrivain français né en 1949 et auteur d’une quarantaine de nouvelles, d’essais et de romans noirs. Il est issu d’une famille modeste, sa scolarité fut difficile et c’est à l’âge de onze ans, lors d’émeutes dans son quartier, que naît chez lui l’envie d’écrire.

 

En tant qu’auteur engagé, Didier Daeninckx axera ses œuvres sur la critique politique, sociale ainsi que sur la mémoire du souvenir d’un passé trop souvent oublié. Dans son œuvre : Cannibale, Didier Daeninckx nous relate un fait divers véridique de l’histoire du peuple de Nouvelle-Calédonie. Gocéné, vieux kanak de soixante-quinze ans, raconte ce qui s’est passé lors de l’exposition coloniale de 1931. Il explique comment lui et ses amis ont été dupés, traités et, pour une partie d’entre eux, échangés contre des crocodiles. Il s’enfuira en compagnie de son ami Badimoin dans Paris afin d’essayer de retrouver sa fiancée Minoé et les autres.

 

Ce roman fait écho à un autre de Didier Daeninckx : Main courante où il est également question de réalité, de critique sociale, de racisme et de faits historiques oubliés.

 

Objet-livre

 

Le format du livre (format poche) est pratique car il peut être lu partout. Il est peu encombrant et c’est un avantage pour l’entrée en lecture. La police d’écriture est plaisante à lire bien que les caractères soient serrés.

 

Quant à la première de couverture, celle-ci n’a pas spécialement favorisé mon entrée en lecture.  La couleur sépia fait comprendre au lecteur que l’histoire n’est pas contemporaine, le personnage nous apparaît comme d’un autre temps, d’un autre monde. Le titre Cannibale interpelle le lecteur car ce mot signifie un homme mangeur d’hommes et je me suis demandée qui pouvait être ce personnage, je voulais en savoir plus sur lui.

 

Tension dramatique

 

Je n’ai pas trouvé le récit très homogène  au niveau du dévoilement des informations. Il y a également des irrégularités de rythme. Le récit débute rapidement : «la vitesse», «le ronronnement», «les cris» : le lecteur est tout de suite dans l’ambiance. Ensuite, après la traversée en mer, il va y avoir : «les lumières, les voitures, les tramways, les boutiques, les affiches…» qui vont défiler devant leurs yeux à toute allure.

 

Puis, un peu plus loin dans ma lecture, j’ai trouvé certains passages un peu lourds car très répétitifs. Par exemple, les trajets dans Paris quasiment identiques effectués deux fois par Gocéné et Badimoin alors qu’ils sont en fuite. L’auteur donne à chaque fois des descriptions un peu similaires et on a un peu l’impression d’un «copié collé». De plus, il y a cette peur de Badimoin d’ «aller sous terre», «la peur de la grotte», «il n’a pas le droit d’aller sous terre». L’auteur insiste lourdement car cela est contre les traditions de leur pays, ce sont «les morts qui dorment sous terre». Je trouve qu’il existe un contraste par rapport à leur arrivée sur Paris où ils avaient simplement «longé la Seine, en camion» avant d’être «parqué derrière des grilles».

 

Lisibilité/complexité

 

Le récit est facile à lire car il y a peu de lieux et peu de personnages.

Le récit débute en Nouvelle-Calédonie  sans que l’on comprenne vraiment  ce qui se passe. Ensuite, nous faisons connaissance avec les deux amis : Gocéné et Badimoin, personnages attachés à leur terre et également très attachants. C’est en fait Gocéné qui va mener l’histoire et qui, en compagnie de son ami, va prendre d’énormes risques dans ce Paris des années trente.

 

Le pronom personnel «je» est employé, ce qui donne plus de force à son récit. C’est vraiment lui qui racontera ce voyage «qui forme la jeunesse» mais il fera bien attention de cacher les atrocités subies et pour les enfants du village, il «leur invente un conte», il leur dit «que c’est le pays des merveilles pour ne pas briser leurs rêves».  Il leur ment comme d’ailleurs on leur a menti aussi, eux qui croyaient que «ce voyage était la chance de leur vie». Le roman transmet bien le message de mensonges à l’égard des kanaks, de duperie.

 

On ne peut oublier de citer le personnage de Fofana, ce sénégalais  travaillant comme balayeur dans le métro car il sauvera la vie de Gocéné et de Badimoin en les cachant dans son petit local. Il faut citer également Caroz ou plus exactement Francis Caroz (nous connaîtrons vraiment son identité entière à la fin du roman) qui s’était interposé entre la police et Gocéné afin qu’il ne soit pas tué.

Le fait qu’il y ait des flash-backs ne m’a pas gêné dans ma lecture car l’auteur a utilisé deux polices différentes ce qui permet donc de bien différencier les deux histoires parallèles.

 

 

 

Réalisme-vraisemblance

 

Le roman Cannibale m’a plu pour sa totale vraisemblance, parce que l’histoire était basée sur des faits réels. Grâce à l’écriture, cet évènement  historique oublié, réussit à être maintenu dans les mémoires.

Ce livre permet également de mieux cerner les mentalités des gens du siècle précédent. On comprend la manière dont on pouvait considérer des êtres humains d’une terre lointaine et les souffrances qu’ils enduraient.

 

 

 

Genre/thème

 

Le récit m’a plu pour ses thèmes abordés tels que l’amitié et la fidélité. Ces derniers existent entre Gocéné et Badimoin qui braveront le «rivage hostile» et qui ont «failli mourir mille fois» pour retrouver Minoé, la fiancé de Gocéné. On ne peut lire Cannibale sans parler de racisme et d’injustice et cela  m’a permis de me rendre compte que même près d’un siècle plus tard, nous sommes toujours confrontés à ce genre de problèmes majeurs : ils sont hélas toujours d’actualité.

 

Le genre de roman relatant des faits réels ne m’attire pas spécialement mais je reconnais que j’ai eu envie d’aller jusqu’au bout de ma lecture pour en savoir plus. Cela m’a amené à me poser des questions sur la réaction que j’aurais eu si j’avais vécu à l’époque et si j’avais été témoin de telles scènes de maltraitance.

 

Bien que ce soit une période vraiment tragique, en tant que lecteur, je me suis senti plongé dans l’histoire, je me suis même senti entraîné.

 

Style

 

 

J’ai trouvé le récit aisé à lire, le vocabulaire étant facile même s’il était assez riche par moments.

Il y a beaucoup de descriptions, d’énumérations : «les fontaines, les affiches, les halls de cinéma…», «des familles en goguette…, les rangs serrés des enfants des écoles, des religieuses en cornette, une délégation de saint-cyriens coiffés de leur casoar». Le texte comporte également pas mal de mots recherchés tels que : «anthropophage», «polygame», «l’assujettissement», «les candélabres»…. L’auteur utilise également beaucoup de verbes de parole : «crier», «appeler», «remercier», «conseiller».

 

Didier Daerninckx a décidé de frapper fort en intitulant son livre Cannibale, ce qui a une connotation péjorative. Les termes forts employés ne ménagent pas ces pauvres kanaks : «hommes anthropophages», «mais c’est qu’il mordrait, le cannibale !», «vous me passez les menottes au sauvage» ou bien «tu ne peux pas faire attention, le chimpanzé», «Tu descends de ta liane ou quoi»… L’auteur a bien voulu insister sur le fait qu’il n’y avait aucune considération pour ces êtres vivants de Nouvelle-Calédonie, ils sont méprisés, injuriés, traités comme des animaux.

 

On sent bien le découragement ressenti par les deux amis kanaks par l’emploi du mot : «découragement» (pages 43, 46), «découragé» (page 67), il y a aussi l’expression «la tête entre les mains»  qui traduit aussi cette notion d’épuisement.

 

Le fait de faire raconter ce récit par Gocéné  à la première personne du singulier donne plus de force à ce témoignage historique. Cette tragique aventure, il l’a vécue. Cependant, Didier Daeninckx a ajouté un petit côté humoristique, drôle au côté tragique du récit.  Tout particulièrement quand on voit déambuler ces deux kanaks dans les rues de Paris, d’ailleurs beaucoup de personnes sourient en les apercevant.

 

 

Tension émotionnelle

 

 

Le récit ne m’a pas permis du tout de m’identifier au personnage principal.

Toutefois, je n’ai pu rester insensible à cette période tragique de l’Histoire que je ne connaissais pas encore. Au fil de ma lecture, je me suis attaché aux deux personnages principaux, j’ai pu me plonger dans leur histoire et j’ai aussi admiré leur courage car ils étaient seuls pour affronter tous ces dangers.

 

Le fait que ces indigènes soient traités comme des bêtes est choquant, on leur « jetait du pain, des bananes, des cacahuètes……des cailloux aussi ». On se croirait dans un zoo humain. Ils sont tels des animaux sauvages et ne sont pas respectés, les femmes par exemple, devaient quitter « leur robe mission et exhibent leur poitrine ». Dénoncés de «cannibale», de «chimpanzé» les indigènes ne peuvent même pas avoir de vie privée : «même notre repas faisait partie du spectacle». Le lecteur est confronté de plein fouet au non respect des droits de l’homme à savoir au problème de racisme. Le peuple français se croit tout permis car il est le colonisateur mais cela ne lui donne pas le droit de jouer avec la vie d’êtres humains. On n’a pas le droit de les bafouer, de les maltraiter.

Cela oblige obligatoirement le lecteur à réagir face à ce peuple qui a été dupé, ce peuple à qui on a menti.

De plus, j’ai eu honte de savoir qu’on avait pu échanger des hommes et des femmes contre des crocodiles, cela parait inconcevable.

 

 

 

Caractère moral

 

Les thèmes très importants abordés comme le racisme, le non respect de l’être humain, l’injustice sont tout à fait d’actualité. Même si Didier Daeninckx relate un fait datant de 1931, le lecteur se rend compte qu’à l’époque actuelle, nous y sommes toujours confrontés.

Ce genre de roman ne m’attire pas spécialement mais je suis content de l’avoir lu en ce sens qu’il m’a appris des choses et je ne peux rester insensible à tout ce que ce peuple a enduré. Je ne peux qu’éprouver une profonde tristesse pour ces personnes du «zoo» humain de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris. C’est sûr qu’ils n’étaient pas instruits ; d’ailleurs, Gocéné nous apprend qu’il était «l’un des seuls à savoir déchiffrer quelques mots».

Gocéné est également un homme de parole ; alors qu’il a promis au père de sa fiancée Minoé de veiller sur elle, il le fera au péril de sa vie.

J’adhère à la notion de solidarité, très présente lors du passage avec la rencontre de Fofana, africain travaillant dans le métro. Il fera tout pour les aider et, en montrant à Gocéné et Badimoin le débarras exigu qui lui fait office de maison, il leur dit : «vous êtes ici chez vous», il ne leur demande rien mais seulement : « Vous avez faim ? J’ai un peu de riz et de la soupe…..». Nous retrouvons cette solidarité également à la fin du livre avec ce blanc, cette fameuse «grande gueule» qui s’était interposée entre la police et Gocéné (personnage dont il est question au début du récit), ce fameux Francis Caroz.

 

 

 

Originalité

 

Pour ce qui est de la fin du texte, j’aurais aimé savoir ce qui était arrivé à Gocéné et s’il avait réussit à rejoindre Minoé et les siens après la fusillade des révoltes de Nouvelle-Calédonie. Son corps «fait demi-tour», c’est-à-dire qu’il va aider son peuple mais cela va-t-il bien se passer pour lui ?

Didier Daeninckx termine son récit sur une fin ouverte et laisse donc son lecteur imaginer la suite des évènements.

 

Comparaison

 

 

Le rapprochement que je peux faire est avec l’autre œuvre de Didier Daeninckx intitulée : Main courante. Cette dernière traite de faits divers, de faits historiques dont il faut garder le souvenir. Ainsi, il donne aussi son point de vue par le biais de l’écriture.

 

 

CONCLUSION

 

Bien que je ne sois pas attiré par les romans de ce genre, il m’a intéressé. En effet, c’est un véritable témoignage historique sur ce qui s’est passé, sur le sort réservé à un peuple de kanaks exposés à l’exposition coloniale au début du siècle dernier. J’ai beaucoup appris sur les mentalités de l’époque à l’égard des étrangers. Je ne peux m’empêcher de penser que même si nous avons fait des progrès aujourd’hui, nous devons être toujours très attentifs aux autres.