A une passante, Les Fleurs du Mal, Tableaux parisiens – Commentaire de texte – BAC de français

28 juillet 2019 0 Par Stanislas

 

Problématique : Quel est le réel objectif de ce poème ?

I) L’évocation d’une femme

  1. Description de la passante

 

On a affaire à une femme, tout d’abord d’après le titre, puis d’après le groupe nominal « une femme » et les accords au féminin de l’adjectif « longue » et du participe passé « aimée ». Cette femme semble élégante et belle : l’adjectif « mince » puis « majestueuse » arrivant au terme du deuxième vers comme en aboutissement du rythme croissant de ce vers, « main fastueuse », « feston », « noble », en « deuil » (ce qui appuie la dignité de cette femme et suggère qu’elle soit vêtue de noir).

Le poète nous montre l’intégralité de cette femme : aussi bien son aspect physique (décrit plus haut) que ce qu’elle semble vivre : le deuil, la douleur, la douceur, le plaisir. En cela Baudelaire est un poète symboliste : il exerce le droit d’imaginer ce que ressentent ses personnages et donc de voir la réalité autrement que ce que ces personnages vivent.

  1. La femme est en réalité réifiée

 

Le poète insiste sur des parties du corps de la femme, comme s’il suffisait de les décrire pour avoir une vision d’ensemble de cette passante : sa « jambe », sa « main » et enfin son « œil ». Notons notamment la synecdoque employée : un œil pour désigner les deux et donc son regard, et la métaphore de l’œil en « ciel livide », qui est la comparaison entre un élément petit et un autre immense. Cette femme est morcelée, la main et la jambe agissent, l’œil est regardé.

Cette femme semble être un objet davantage qu’un être humain : une partie de son corps suggère qu’il s’agit d’une statue inanimée « jambe de statue ». Le poète la décrit comme « longue », que l’on emploie habituellement pour décrire des objets et non des êtres humains… Cette femme semble être une œuvre réussie : « majestueuse », « fastueuse », « noble ». On pourrait penser qu’il s’agit même d’une idole, car le poète emploie le « Ô » vocatif pour s’adresser à elle. Elle est réifiée par ces quelques exemples, et perd toute son humanité en passant pour une œuvre d’art.

Conclusion partielle : Le poète a transformé cette passante par la poésie.

II) L’angoisse du « je »

Note : l’angoisse est le tiraillement entre deux directions opposées.

  1. Quelle est donc cette angoisse ?

 

Le plan du poème organise l’apparition de cette angoisse, qui est la conséquence de la rencontre a lieu dans la première strophe, elle commence par une anecdote (la rencontre avec la passante).

L’angoisse se manifeste sous deux aspects : la déraison et l’excès. La déraison par les mots « crispé », « extravagant » (dans la comparaison), « douceur » (que le poète attribue à cette femme alors qu’il en est peut-être le sujet), et l’excès notamment par l’oxymore « plaisir qui tue », « ouragan ». De manière générale, le poème semble irréel dans les sentiments que le poète décrit, tant ils sont excessifs.

Ces deux aspects sont mis en reliefs par d’autres couples opposés : l’« éclair » puis la « nuit », « fugitive » et « éternité », « ignore » et « savais ». On a l’impression d’avoir toujours une opposition entre deux directions, ce qui témoigne des contradictions du poète.

Le poète semble dire qu’il reverra la passante non pas dans un lieu mais « dans l’éternité », ce qui est relatif à une durée. Puis il enchaine en déclarant qu’il la reverra « ailleurs ! bien loin d’ici » (évoquant un lieu, peu précis) puis « trop tard ! jamais peut-être » (ce qui se réfère une fois de plus à une date). Le poète revient donc sur ses pas, il semble indécis et déstabilisé.

  1. La lente évolution de l’angoisse

 

Les types de phrases semblent insister sur le passage vers l’angoisse : elles sont simplement déclaratives dans les deux premiers quatrains puis le premier tercet abrite une phrase exclamative puis interrogative (la question ici est davantage rhétorique que réellement adressée à la passante, ce qui pourrait traduire un état déjà bien ancré de folie : le poète se parle à lui-même comme s’il avait perdu la raison). Enfin, dans le dernier tercet, le premier vers est l’expression même de l’angoisse du poète : les « … », la phrase exclamative et la coupure entrainée par le « – » montrent que celui-ci est déstabilisé. Les quatre dernières exclamations coupent la lecture régulière que l’on pourrait avoir de ce dernier tercet. Le rythme accélère et nous guide.

  1. Le poète passif face à la passante

 

Le poète réalise peu d’actions (on notera l’emploi de « boire » à l’imparfait ce qui accentue l’impression de durée de cet instant de rencontre pourtant très court), tandis que la passante en réalise plusieurs : elle passe, soulève, balance, fait, fuit, et sait. Il arrive cependant à enfermer la passante dans un chiasme au vers 13 : « je », « tu », « tu », « je », mais échoue au vers 14, où il est emprisonné entre deux pronoms personnels toniques « toi ». Grammaticalement, le poète est mis en échec.

Conclusion partielle : la passante semble réveiller l’angoisse du poète, et son tiraillement entre le jour et la nuit. Elle n’est pas responsable (cf partie 1 : elle n’est qu’un objet), et ressemble davantage à un prétexte pour le poète d’exprimer sa souffrance.

III) La modernité du poème

« Il faut être moderne », Charles Baudelaire

 

  1. Modernité de construction

 

Le rapport entre les phrases et les vers ne semble pas respecté : le poème comporte 6 phrases de longueur différente. Seule la première correspond à un vers et sert à instituer un cadre au poème. Cependant les suivantes ne correspondent plus à une strophe. On remarque d’ailleurs un décalage vers 2 à vers 5, où la phrase du premier quatrain prend fin.

Au niveau sonore (nous sommes obligés d’en parler, la première strophe nous dit que le bruit ambiant est insupportable !), les rimes semblent approximatives : « hurlait » et « ourlet », « renaître » et « peut-être ». De même pour les rimes internes :« soulevant » et « balançant », « ici » et « fuis », « aimée » et « savais ». On remarque aussi ces approximations au niveau visuel. Le sens prime sur la forme, celle-ci s’adapte à celui-là. Le poète cherche des mots qui correspondent à la réalité, et prend des libertés avec la forme (très répandue et employée depuis des siècles) du sonnet. Cette liberté lui permet de montrer au lecteur son état de mal-être et de tiraillement. Cela renforce l’hypothèse émise en partie 2.

  1. Modernité dans la narration

 

Les rythmes sont variés, le poète change la césure des vers 2, 4 et 6, ce qui empêche la lecture formelle du sonnet. On s’attache au sens davantage qu’au rythme. Il fait correspondre ce rythme à ce qui est dit (l’aspect majestueux de la femme, l’attitude de la femme). Il utilise la forme du poème pour accentuer le discours, c’est un poème total.

Certains vers sont privés de verbes (les vers 2, 5, 9 et 12) : il ne s’y passe rien. Trois d’entre eux concernent la passante, ce qui donne nous conforte dans l’idée de fixité qu’a cette œuvre d’art, et de l’image qu’il en reste dans la mémoire du poète.

Le thème choisi est moderne : le poète vit dans le monde, au milieu d’une rue hurlante. C’est l’urbanisation, l’industrialisation, peut-être. L’objectif est de parler de son époque.

Conclusion partielle : Baudelaire créé le mythe de la passante (repris par Apollinaire dans Zone) et Georges Brassens dans Les Passantes. La modernité réside à la fois dans la création de ce motif et dans la forme du discours employée.

Conclusion

Le poète essaye d’écrire un poème sous forme fixe et habituelle (le sonnet), en y insérant un thème résolument moderne. La passante éveille les contradictions qu’il porte en lui, et lui permet de confier au lecteur son état d’esprit.